jeudi 16 avril 2015

La sociologie a bon dos.

Vendredi dernier, en pleine grève de Radio France, Philippe Val était l'invité de la matinale d'Inter, animé par Patrick Cohen1, pour présenter son dernier livre Malaise dans l'inculture. Pour ceux qui seraient passés à côté de ce grand moment de radio, vous pouvez lire cet article qui résume ce qui s'y est passé (pour les plus courageux, il y a même les vidéos pour écouter l'intégralité de l'émission).



Sans surprise, vu les attaques délirantes de Val à l'encontre de la sociologie, les réactions ne se sont pas faites attendre sur twitter. D'abord, avec agacement :



Puis, avec un certain humour :



Plusieurs personnes ont pris le temps de critiquer et/ou répondre à Val de manière un peu plus détaillée, et je vous conseille d'aller les lire. Le jour même Gabriel Galvez-Behar, historien et fidèle auditeur d'Inter2, a adressé une lettre ouverte à Patrick Cohen, dans laquelle il rappelle quelques principes de base de la sociologie, des sciences sociales et du débat intellectuel. Denis Colombi, que je ne présente plus, s'est concentré sur la question du lien entre déterminisme et responsabilité, avec l'aide de Peter Berger. Sylvie Tissot, sociologue à Paris 8, a proposé une critique davantage politique des positions de Val. Enfin, Eric Fassin, aussi sociologue à Paris 8, a proposé une critique très ironique de l'essai publié par Val.

Même si je suis globalement d'accord avec tout ce qui a été dit, je voulais ajouter quelques remarques.

D'abord, je m'étonne un peu de l'étonnement face à ce type de discours. Et dans le même mouvement, je m'étonne que les références à Finkielkraut, quand il est cité, soient anecdotiques. Personnellement, j'ai eu la chance de ne pas m'infliger ça au réveil, et du coup j'étais plutôt mort de rire en écoutant les délires de Val. Et je le voyais arriver à des kilomètres sur le sociologisme comme nouvel antisémitisme. Non pas que je sois doué de pouvoirs de divination, mais c'est un discours déjà entendu des dizaines de fois, et celui de Val n'en constitue que la forme sans doute la plus caricaturale. On a eu droit à toutes les obsessions de Finkielkraut : la sociologie qui mettrait en péril la civilisation, l'obsession antisémite qui fait de tout opposant un antisémite, les discours grandiloquents sur la grande Culture qu'on assassine, etc... On dispose donc d'un nouveau Finkie, au cas où le premier tomberait en panne.

Ensuite, j'ai du mal à prendre au sérieux sa critique du sociologisme. Là où Finkielkraut cite et attaque des analyses précises, en particulier celles remettant en cause l'arbitraire des hiérarchies culturelles (cf. La Défaite de la pensée), Val semble ne pas réellement savoir de quoi il parle. Ça fait un moment que le qualificatif de déterministe est largement utilisé de manière péjorative en sciences sociales. Et même chez Bourdieu, il n'est jamais assumé jusqu'au bout, dans la mesure où la sociologie doit précisément permettre d'en sortir. Bref, on aurait bien du mal à trouver des personnes correspondant à la description du sociologisme donné par Val. Et l'incompétence de Val ne s'arrête pas là. L'idée que les partisans du "socialisme réellement existant" nieraient la responsabilité des individus pourrait faire rire, si elle n'insultait pas la mémoire de toutes les victimes des procès, purges et autres auto-critiques forcées de ces régimes totalitaires. Mais le summum du ridicule est atteint lorsqu'il range Sartre parmi ceux qui nieraient la responsabilité des individus. Sartre !!! Effectivement, il y a bien un malaise dans l'inculture.

En fait, Val essaie tant bien que mal de camoufler ses positions politiques conservatrices, voire réactionnaires, derrière une pseudo-pensée qui ne tient pas l'analyse plus de quelques secondes. Positions qui pourraient se résumer à disqualifier toute critique du capitalisme et de l'impérialisme à travers les stigmates d'antisémite et de totalitaire. Au moins avec Finkie, on avait l'espoir de peut-être apprendre un quelque chose entre deux tirades délirantes. C'est la décadence même chez les critiques de la décadence...




Pour les traditionnels conseils de lecture : je connais mal l'histoire de cette rhétorique sur l'antisémitisme, par contre sur l'histoire de la rhétorique anti-totalitaire "de gauche", il y a des pistes intéressantes dans ce bouquin.


[1] : Le même Patrick Cohen qui avait été recruté à ce poste en 2010 par le même Philippe Val, directeur de France Inter à l'époque.
[2] : Ce que je ne suis plus depuis longtemps, en particulier la matinale que je n'avais pas écouté depuis un moment. Du coup, j'ai été plutôt agréablement surpris de voir Thomas Legrand et Bernard Guetta réagir dans la deuxième partie. En même temps, il était difficile de faire autrement, tellement Val était parti loin dans son délire.

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