mercredi 2 novembre 2011

Oui, le féminisme change nos vies

Chose promise, chose due, voici ma petite note de lecture sur Le féminisme change-t-il nos vies ?


Comment le féminisme change nos vies


Il s'agit d'une "petite encyclopédie critique" (selon le nom de cette récente collection des éditions Textuel, dirigée par deux politistes de Lyon, Philippe Corcuff et Lilian Mathieu) consacrée aux "acquis irréversibles comme [aux] enjeux d'avenir" de la pensée et de la lutte féministe. L'ouvrage, dirigé par Delphine Gardey, rassemble des contributions de sociologues, politistes et anthropologues de l'équipe des Etudes Genre de l'université de Genève.



Delphine Gardey rappelle dans l'introduction l'évolution récente du mouvement féministe. Après le foisonnement des années 1970, celui-ci a connu un essoufflement dans les années 1980, avant d'être réinvesti par de nouvelles questions autour du mouvement homosexuel (lutte contre le sida, PACS) et de la parité dans les années 1990. Aujourd'hui, il semblerait pour l'auteur, que les revendications se reformulent, en partie à cause du backlash (i.e. réaction violente) imposé par l'idéologie néo-libérale. Tout en insistant sur la pluralité des féminismes, elle nous invite à repenser le féminisme comme mouvement social, afin d'examiner en quoi "nos vies ont été changées par [lui], le sont, et le seront encore".

La première contribution, d'Isabelle Giraud, se demande si le féminisme a transformé la politique. Elle permet de rappeler l'efficacité qu'a pu avoir le slogan "le privé est politique" dans la redéfinition des questions politiques, aboutissant à des changements juridiques importants, comme la légalisation de l'avortement (1975), la reconnaissance du viol en tant que crime (1980) ou la reconnaissance du viol conjugal (1992). Le féminisme a aussi permis une meilleure participation des femmes dans le champ politique, notamment grâce à des processus d'empowerment. Entre autres conséquences, les féministes ont réussi, malgés leurs différences, à s'organiser internationalement, en particulier à l'ONU, en 1996, où le premier objectif du Programme d'action de Beijing était : "donner plus de pouvoir aux femmes [...], éliminer tous les obstacles qui empêchent les femmes de jouer un rôle actif dans tous les domaines de la vie publique et privée". Toutefois, ce mouvement ne s'est pas fait facilement, et les féministes ont du lutter ardemment pour que soit mentionné le patriarcat  parmi les autres aliénations capitalistes, lors du Forum social mondial de Bombay en 2004. L'auteure reconnait cependant que la lutte est loin d'être terminée et que certaines avancées n'ont pas tenues toutes leurs promesses, comme la loi sur la parité (champ d'application et sanctions trop faiblres).

Rachel Vuagniaux se demande, elle, si le féminisme a déplacé les frontières du travail. Ici, les féministes ont permis de transformer les grilles d'analyse du travail en particulier sur les questions d'inégalités salariales, de "plafond de verre", d'assurances sociales, de priorités syndicales ou sur le travail domestique. Toutefois, si certaines frontières ont pu être déplacées, elles sont loin d''avoir été abolies. L'auteure avance des explications classiques sur l'inégale répartition des tâches domestique (et l'absence de prise en compte du travail domestique, qui en 1998 représentait en volume horaire 155% du travail rémunéré), la sur-représentation des femmes dans des formes atypiques d'emploi (comme le temps partiel) ou la systématique dévalorisation des savoirs-faire féminin (le care). Au final, elle semble voir dans une réduction du temps de travail de possible effets émancipateurs, même si elle reconnait que son application en France n'a que peu modifiée la situation. Elle invite aussi à une meilleure articulation des différents rapports de domination (de classe, de genre, de race).

De son côté, Lorena Parini cherche à savoir si le féminisme a redéfini nos sexualités. Ici, le slogan important est "Notre corps nous appartient", qui va permettre aux féministes de se réapproprier leur corps que se soit sur la question de la contraception, de l'avortement, du plaisir féminin ou de la prostitution. On peut noter le souci de l'auteure de présenter une vision complexe des féminismes, en présentant brièvement les querelles internes au mouvement sur la question de la prostitution ou de la libéralisation sexuelle (liberté de disposer de son corps vs érotisation de la soumission). Elle fait ensuite le lien entre le mouvement féministe et le mouvement homosexuel, à partir des féministes qui poussent la critique du patriarcat jusqu'au bout et refusent "l'intimité avec l'oppresseur" en développant une sexualité lesbienne. Au-delà des rapports complexes entre ces deux mouvements, elle met en avant leur souci commun de dé-naturaliser le social pour libérer la parole et l'action politique.

Lulia Hasdeu propose de voir si un féminisme "décolonial" est possible. Elle ouvre sa réflexion par l'histoire de la "Vénus hottentote", en notant que si les critiques du racisme ont été nombreuses, la question du sexisme a été complètement occultée. Or, la pensée colonialiste est aussi une pensée sexiste : l'homme est vu comme un sauvage, viril et agressif alors que la femme est érotisée (souvent seins nus) et fantasmée (la vahiné par exemple). Elle rappelle, ensuite, l'émergence d'un féminisme noire qui accuse les féministes blanches (souvent appartenant aux classes moyennes et supérieures) de parler au nom des autres, reprenant ainsi une pratique du patriarcat. Dans le contexte français, cette opposition est apparue notamment lors de la polémique sur le voile, opposant des féministes "républicaines" et des féministes "islamiques" (avec le "mouvement des indigènes de la république" et sa porte-parole Houria Bouteldja), provoquant des débats houleux au sein des différentes composantes du féminisme. Elle appelle ainsi à une dénonciation conjointe du sexisme, du racisme et des élites politiques, pour lutter efficacement contre le paternalisme et développer un féminisme qui rompe définitivement avec le colonialisme.

Laurence Bachmann se demande si le féminisme est soluble dans l'individu, ou plus exactement si le féminisme incite à modifier certaines comportements individuels. La question en effet semble devoir se posé, dans un contexte de montée de l'individualisme, où l'égalité formelle (égalité en droit) a conduit à rejeter le féminisme considéré comme dépassé. Néanmoins, celui-ci a pu servir de répertoire culturelle aux individus, notamment au sein de la famille, où les valeurs d'écoute, de compréhension et d'empathie se sont développées ces dernières décennies. Cependant, en se dissolvant dans l'individu, le féminisme a pu entraîner une culpabilisation de celui-ci perdant de vue le poids des structures sociales. L'auteure prend l'exemple de la négociation autour du partage des tâches domestiques, à partir de l'étude de Jean-Claude Kaufmann, où, forcées de prendre position par rapport à la norme égalitaire, les femmes culpabilisent de n'avoir pas su imposer un partage égalitaire (les thésardes en sociologie semblent s'en sortir mieux), alors que les hommes sont gênés ou tentent de se justifier de leur faible participation.

Christian Schiess (le seul homme) s'interroge sur la capacité du féminisme à émanciper les hommes. A priori, cela ne semble pas évident car les hommes ont beaucoup de privilèges à perdre en cas de victoire du mouvement féministe, en particulier leur principal privilège (symbolique) du masculin comme référent : la femme est un homme de sexe féminin, alors que l'homme est juste un être humain (c'est l'idée qu'on retrouve dans l'expression le "deuxième sexe"). L'impact du féminisme n'est cependant pas le même sur tous les hommes, et l'auteur met en garde contre une manipulation du féminisme pour stigmatiser les jeunes hommes des catégories populaires, et a fortiori issus de l'immigration. Il rappelle aussi que les hommes sont bien plus conscients de leurs dominations qu'on voudrait bien le croire, notamment du fait qu'on apprend à devenir homme en se distinguant de la femme et en apprenant à la dominer. Ainsi, il ne faut sans doute pas attendre grand chose d'un regain de vertu spontané de la part des hommes, mais il faut plutôt renforcer le rapport de force que les féministes sont parvenues à instaurer.

Delphine Gardey conclut en rappelant que les féminismes ont permis aux femmes de se constituer en sujet de droit et en sujet politique, de faire advenir de nouvelles subjectivités et d'assumer leurs sexualités. Cependant, si le féminisme a rendu possible de nombreuses avancées, il "reste à l'évidence que le néolibéralisme en tant que rationalité politique qui tend à s'étendre et à conditionner l'ensemble des espaces disponibles change nos vies bien plus radicalement et bien plus durablement que ne le peut aucune des utopies émancipatrices dont participent les féminismes".

Quelques critiques : du féminisme à l'anti-sexisme

Après cette petite présentation, il me faut faire quelques critiques. Commençons par un des points positifs de l'ouvrage. J'ai particulièrement apprécier le soucis d'éviter d'homogénéiser le féminisme et de rendre compte des principales fractures qui peuvent exister au sein de ce mouvement. Les auteures parviennent aussi à éviter l'impasse de l'opposition entre populisme et misérabilisme (dichotomie qu'avaient révélée Jean-Claude Passeron et Claude Grinon dans les études sur la classe ouvrière), en montrant que si le féminisme a effectivement changé nos vies, une société anti-sexiste est encore loin d'être advenue. Cependant, on peut regretter, en particulier puisqu'il s'agit d'une "petite encyclopédie", l'absence d'un chapitre initial faisant un rappel historique (avec une chronologie) des grandes dates du mouvement féministe et de ses différentes phases. Dans le même ordre d'idée, il aurait été appréciable d'avoir quelques tableaux statistiques permettant de se représenter l'ampleur des inégalités femmes-hommes dans les différents domaines abordés.

Je voulais aussi revenir plus précisément sur deux points qui me paraissent avoir été assez mal traités : le clivage des féministes français lors de la "loi sur le voile", et les rapports entre le féminisme et les hommes. Je trouve le traitement de la polémique autour de la "loi sur le voile" par Lulia Hasdeu particulièrement problématique. Elle explique ainsi que durant cette polémique le "féminisme républicain" se serait retrouvé "dans une situation de complicité avec le néocolonialisme". Elle prend ensuite la défense des thèses défendues par la porte-parole du "mouvement des indigènes de la république". Ici, le problème est double, nécessitant ainsi à la fois une critique externe et interne. Pour la critique externe, j'ai eu l'impression de lire une prise de position politicienne (et non politique) pour un groupe politique particulier. Je trouve cela gênant dans un ouvrage écrit par des scientifiques cherchant à montrer une version sinon objective, du moins relativement neutre du féminisme, en ne revendiquant que des valeurs politiques largement admisses dans nos démocraties (égalité, lutte contre l'injustice). Au niveau de la critique interne, je trouve l'argument assez limite. Ce n'est pas parce que des groupes politiques défendent une même idée, qui le font nécessairement pour les mêmes raisons (voir en ce moment le spectre très large des tenants du protectionnisme). Ensuite, la question du féminisme islamique pose question, non du fait de l'islam (ça serait la même chose pour un féminisme chrétien ou juif), mais à cause de la religion. En effet, la plupart des religions (et en particulier les trois religions du livre) font parties des institutions les plus sexistes de l'histoire de l'humanité et le sont toujours dans une très grande mesure (pour illustration, voir l'organisation à très grande échelle d'un discours contre "l'idéologie du genre" au sein du catholicisme). Par ailleurs, une part importante du féminisme s'est construite sur une matrice matérialiste (Christine Delphy par exemple) profondément athée, voire anticléricale. Pour ces raisons, un féminisme religieux ne semble pas aller de soi, notamment parce qu'il suppose de remettre profondément en cause l'anthropologie développée par ces religions. Cela étant dit, la lutte de croyants contre le sexisme au sein de leur religion est naturellement légitime.

Par ailleurs, je regrette qu'en tant qu'anthropologue l'auteur n'est pas pris plus de recul sur cette affaire. De mon point de vue, la question du voile est une question complexe. [Je n'ai d'ailleurs pas d'opinion arrêtée sur l'utilité ou non d'une telle loi.] En effet, d'après ce que j'ai pu en lire, les raisons du port du voile sont multiples. Il peut être ainsi parfois porté comme revendication d'une identité politico-culturelle. Il sert alors à montrer la fierté de ses origines (culturelles) arabo-musulmane, dans une logique de réappropriation du stigmate, pour utiliser des termes goffmaniens [La réappropriation du stigmate est le fait de revendiquer un trait social ou culturel stigmatisé, pour en faire une source de valorisation positive]. Dès lors pour un usage politique des sciences sociales (ce que je défend quand on fait clairement la distinction entre recherche scientifique et usage politique de ces recherches), la question est de savoir dans quels cas le port du voile relève de la domination masculine. Ensuite, la question est de savoir comment lutter efficacement contre cette domination. Il faut tenir compte que la stigmatisation renforcée de personnes déjà dominées pose aussi problème. D'autant plus, que ces personnes (ou leurs familles) peuvent alors adopter des stratégies d'évitement en quittant l'école publique. Sans vouloir trancher, ici, cette question, j'ai fait toutes ces remarques pour montrer que les sciences sociales peuvent avoir des choses autrement plus intéressantes à dire sur cette question qu'une vulgaire (au sens étymologique) opinion partisane.

Ma deuxième critique porte sur la présentation des liens entre le féminisme et l'émancipation des hommes, que propose Christian Scheiss. Je souhaite d'autant plus clarifier ma position après avoir survolé cet article, et après le petit débat que j'ai eu avec Une heure de peine sur Twitter. Ce dernier a d'ailleurs lancé une  petite campagne sur les réseaux sociaux autour des slogans : "You're a feminist, be proud of it", "Be a man, be a feminist" et "Be a woman, be a feminist" (félicitation Denis, tu as réussi à troller mon billet de l'intérieur!). Christian Scheiss présente une vision doublement essentialisée des hommes, qui me pose problème. D'une part, il parle "des hommes", comme s'ils constituaient une catégorie suffisamment claire pour développer une pensée complexe. Les hommes en question sont en réalité multiples et se distinguent par leur classe, leur âge, leur couleur de peau, leur religion, etc... Des sociologues ont ainsi montré que l'identité masculine est une ressource mobilisée différemment selon les milieux sociaux (comme a pu le montrer Pascale Jamoulle à propos de "la construction de l'identité masculine en milieux précaires"). Plus généralement, on assiste à une recomposition des rapports entre genre et classe, comme le résume Pascal Duret : "en milieu populaire, et particulièrement dans les cités, les valeurs masculines pénètrent l'univers féminin [...]. On assiste au mouvement inverse en milieu aisé : non seulement la virilité cesse d'être un impératif catégorique, mais de plus en plus, les valeurs féminines investissent l'identité masculine" (Les jeunes et l'identité masculine). Ce paradoxe (mélange des valeurs du groupe dominant et du groupe dominé) n'est qu'apparent, et doit se comprendre à travers de processus de féminisation-civilisation dont on a parlé ici : le processus de civilisation a fait primer la réussite sociale sur la virilité, les classes supérieures peuvent ainsi mettre principalement en avant celle-là ; en revanche, en milieu populaire, l'identité masculine devient l'une des dernières ressources sociales valorisantes. L'auteur évoque cette question uniquement pour dénoncer "une réactualisation genrée du racisme de classe". Encore une fois, il est regrettable, en particulier pour un sociologue, que la dénonciation politico-morale prenne le pas sur un effort de compréhension de phénomènes sociaux complexes.

D'autre part, il semble réactiver un schéma simpliste de "guerre des sexes". Les hommes, privilégiés, seraient les ennemis des femmes, dominées. Cette vision des choses fait l'impasse sur le fait que de nombreuses femmes contribuent aussi à la domination masculine (par exemple, les "féminismes" rétrogradent défendues par Sarah Palin ou Marine Le Pen), et inversement que de nombreux hommes participent à la lutte contre cette domination masculine : les mouvements gays, sans être tous d'ardents féministes, ont largement lutté contre la domination masculine, mais plus largement, vu le statut légal qu'avaient les femmes jusqu'à une époque très récemment, la plupart des féministes ont pu bénéficier du soutient (au moins tacites) de leurs maris et/ou pères. Enfin, l'usage de la catégorie de "privilège" pour désigner les inégalités femmes-hommes me pose problème (et pas uniquement parce que je suis un homme). Si certaines de ces inégalités relèvent effectivement du privilège, comme le partage inégale des tâches domestiques, d'autres doivent davantage se penser en terme de privation de droits. Le fait d'avoir facilement accès à tous les espaces publics ou de ne pas être identifié par son sexe ne relèvent pas de privilèges mais de droits fondamentaux, dont sont privés en partie les femmes. Cette rhétorique du "privilège" renvoie (volontairement ou non) à la rhétorique réactionnaire (au sens de la volonté d'un retour au passé) des gouvernements voulant revenir sur certains acquis sociaux transformés en "privilèges" de certaines parties de la population. Et c'est en cela qu'elle me semble problématique.

Mais plus généralement, ce chapitre montre les impasses de la notion de féminisme pour penser les normes de genre. La perspective d'émancipation des hommes est ici réduite à la question des inégalités femmes-hommes, comme si les hommes n'étaient pas eux-même soumis à ces normes de genre. Christian Scheiss n'évoque cette question uniquement à travers le prisme de la construction de la domination ou de l'homophobie. Cette réduction est problématique d'autant plus que cette normativité de genre s'exerce d'ailleurs avec plus de force sur les hommes que sur les femmes, sorte de coût à payer pour assurer la domination masculine, en particulier pour faire du masculin le sexe de référence. On peut le voir dans l'apparence sociale (tenue vestimentaire, coupe de cheveux, etc...) ou par exemple dans les rappels à l'ordre social pendant la petite enfance : on insultera un garçon de "fillette" ou de "tapette", là où on insultera une fille de "garçon manqué" (sans trop savoir sur lequel des deux termes porte l'insulte). Cet impensée du féminisme n'est pas très surprenant quand on se rappelle qu'il s'agit avant tout d'un mouvement de libération des femmes. D'ailleurs, de nombreux courants du féminisme s’accommodent très bien d'une certaine naturalisation des genres, que se soit pour vanter la complémentarité des femmes et des hommes, ou pour naturaliser le care, défendant par exemple que les femmes pourraient gouverner autrement (l'exemple de Margaret Thatcher devrait quand même relativiser ce genre d'idées). De plus, le féminisme provoque une réaction masculiniste, qui vise à défendre l'identité masculine qui serait en perdition, à cause de la féminisation de la société. Pour toutes ces raisons, je préfère utiliser le terme d'anti-sexiste. Il ne s'agit alors moins de rompre avec le féminisme, que de le dépasser. En cela, je reconnais les apports majeurs de la lutte féministe, ainsi que la nécessité pragmatique qu'elle a eu de s'être organisée à travers un mouvement de femmes. Il peut être utile, ici, de rapprocher l'anti-sexisme de l'anti-racisme. Celui-ci aussi est passé par une phase de mouvement minoritaire, le mouvement noir qui n'était pas exempt d'essentialisme (notamment à travers la valorisation d'une identité noire), mais c'est surtout dans les buts affichés qu'ils se rejoignent. Le mouvement anti-raciste vise moins l'égalité des races (entendu comme construction sociale et non réification biologique), qu'une société sans race. De même, l'anti-sexisme vise moins l'égalité des sexes (ou des genres), qu'une société qui se serait débarrassée des distinctions de genre. En effet, l'objectif aujourd'hui n'est plus seulement d'atteindre l'égalité de genre, mais bien plus de défaire le genre.

En définitive, abandonnez les slogans archaïques de Denis, et adoptez le mien : "Be a human being, be an anti-sexist" ;)


Pour aller plus loin :


Il y a déjà beaucoup de références qui ont été données dans les billets précédent. Je peux juste indiquer une enquête relativement agréable à lire, qui aborde la question de la construction de l'identité masculine en milieu populaire : Nicolas Renahy, Les gars du coin.

2 commentaires:

  1. Comme je l'ai déjà dit sous twitter, je ne crois pas qu'on puisse qualifier "féminisme" de "notion" : c'est une étiquette, un point de ralliement, un terme nécessairement chargé politiquement, et par là plastique, susceptible de définitions multiples, conflictuelles et en lutte. C'est ce qui en fait tant la faiblesse que la force. Par là, on n'est pas obligé d'être d'accord avec tous ceux qui s'en revendiquent. Il faut lutter pour tout autant que lutter avec. Et comme il est chargé d'histoire et à l'origine de victoires non-négligeables, il me semble dangereux de l'abandonner, autant pour ceux par qui il pourrait être récupéré que pour ceux qui pourraient instrumentaliser une lutte contre le féminisme - le "feminazi" qu'utilisent certains commentateurs neocons aux Etats-Unis.
    Tu fais la comparaison avec l'anti-racisme. De là viennent sans doute les problèmes : l'anti-racisme a-t-il été un succès ? Pas vraiment. Taguieff, du temps où il écrivait encore des trucs lisibles, en avait montré les impasses et même les effets pervers. Dire que l'on veut une "société sans" quelque chose est un peu limité politiquement. Je préfère me dire féministe parce que je veux lutter contre la domination masculine : c'est de là que provient la force du genre comme oppression, tant pour les hommes que pour les femmes, dans un rapport de force inégalitaire, dans l'objectivité des structures et des institutions sociales et non simplement dans le ciel des mots et du langage. Dans un rapport de force, il faut choisir un camp. Se dire féministe, c'est choisir celui de ceux qui luttent contre.

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  2. Ton commentaire invite à plein de réponses, et c'est effectivement plus facile de le faire ici que sur twitter.

    Je ne pense pas qu'on puisse réduire le "féminisme" à une étiquette. Il s'inscrit dans une pensée, certes complexe et composite, mais qui a des fondements précis. Et c'est justement ces fondements, qui sont à mon avis les causes de certaines impasses actuelles du féminisme, que je remet en question.

    Ensuite, je suis sensible à la distinction pratique/théorique. Je pense, et cela peut-être confirmé empiriquement, qu'il y a une nécessité pratique pour tous les mouvements "minoritaires" à s'organiser à partir de cette minorité. C'est le seul moyen pour faire émerger une question sur l'agenda politique long. Mais, à un moment ce démarche "minoritaire" doit s'universaliser.

    Ensuite, il s'agit moins d'un abandon qu'un dépassement. Ce qui est phénomène courant de la lutte politique. Une partie de la gauche marxiste française se réfère à la révolution française, même si elle critique sa dimension bourgeoise.

    Réduire la lutte à la domination masculine est justement ce qui me pose problème. Encore, je comprend que ce fut un temps nécessaire à la lutte, en particulier quand le féminisme s'est construit comme un mouvement de femmes, pour les femmes et par les femmes, mais il me semble réducteur aujourd'hui. Il suffit de voir la grille moraliste à outrance qui caractérise le féminisme mainstream aujourd'hui sur le viol ou la prostitution : les femmes sont des victimes et les hommes des oppresseurs. Cette une vision naïve et dangereuse de la réalité sociale, au-delà du simple fait que des hommes sont aussi violés et prostitués. J'ai l'impression que le féminisme dominant constitue de plus en plus une régression par rapport aux perspectives émancipatrices du mouvement originel, notamment parce que le contexte a changé, la plupart des droits formels ont été acquis. Ce changement de contexte incite à revoir profondément le discours. Par ailleurs, les innovations théoriques de ces dernières années me semblent plutôt aller dans une perspective de déconstruction du sexe et de genre, qui invite à dépasser le féminisme. Pour moi le but (en terme de visée utopique) n'est pas que la femme soit égale à l'homme, mais qu'on se débarrasse de ces concepts réducteurs, au moins pour penser le politique.

    Sur l'anti-racisme, je pense pas que le problème soit dans le terme même. L'anti-racisme comme il a été développé dans les années 1980 par la gauche, en particulier avec SOS-Racisme, n'a jamais constitué un mouvement social émancipateur, mais davantage un artifice politique visant à faire oublier la conversion "libérale" généralisée de la gauche à cette époque.

    Enfin, sur le côté "négatif" du anti. D'une pour l'efficacité de la lutte, la désignation de l'ennemi a toujours été plus efficace qu'une proposition positive d'auto-définition. De plus, une société "sans" n'est pas absolument pas limité : une société sans classe, sans race, sans genre, sans inégalités n'est pas une idée très neuve, et apparaît pas si limité. Et de mon point de vue, une telle démarche évite de proposer une société heureuse pour tous, qui n'est pas le but du politique : il vise non le bonheur mais la justice sociale (qui peut constituer une condition du bonheur).

    Ensuite, je ne fais pas non plus la morale à chaque féministe que je rencontre ;)

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